Il y a quelques jours, grâce aux accompagnements que je fais quelquefois auprès d’enfants, j’ai été frappé par une réalité différenciée, vérifiée et qui se confirme.
- D’un coté, l’enfant qui me dit : « j’ai le masque, c’est normal, je fais comme tout le monde ».
- D’un autre coté, l’enfant qui me dit : « je n’en peux plus, je n’en veux pas, vivement que ça s’arrête ça ! ».
Vous me direz que cela est habituelle, avoir envie ou pas, pour un enfant. Sauf que j’ai plutôt perçu là :
- d’un coté une forme de normalisation, d’habitude, voir de soumission, de dépendance,
- et de l’autre, une révolte, une incompréhension, une impossibilité à s’exprimer avec un masque, à voir le monde avec le masque et en ce demandant : mais jusqu’à quand?
Je dis bien : « voir ». Car le masque, devant la bouche et le nez est finalement l’instrument qui nous permet de voir le monde et d’être vu par lui. Autrement dit, la bouche ne sert pas qu’à parler, embrasser, sourire. Elle nous permet de voir, être vu, être en contact avec le monde et ces autres, nos semblables.
Dans les deux cas, j’ai perçu un questionnement profond, une souffrance palpable, une sorte de malaise. Ce regard qui demande, interroge qui essaie bien de comprendre mais qui n’y arrive pas vraiment.
J’ai pensé alors rencontrer là une forme de réalité inversée, dont le problème principale est l’impossibilité à donner du sens à ce qui est. Incapacité même à entendre, à s’entendre. Comme si toutes les modalités sensorielles, celles-là même qui nous lient au monde et à chacun, étaient mises hors services. Une sorte de dérèglement sensoriel, une sorte de désordre , de « non ordre » dans notre climat intérieur et extérieur. Une forme donc de dysharmonie. Tout est lié.
Alors quel est le danger d’une réalité dite inversée, de nature perverse car sans cohérence de sens? Essayer de lui trouver un sens! Impossible. Essayer quand même, c’est s’y épuiser.
Alors j’ai pensé à la confusion qui accompagne le moment actuel, le moment qui dure, à travers les décisions réelles ou perçues, le sentiment qui est là. Et le sentiment, a toujours raison. Chacun se faisant une idée en fonction de sa propre réalité du moment, conditionnée et vécue par ce à quoi il décide d’adhérer ou ce à quoi se référer. Bienvenu au pays des croyances depuis une sorte d’hypnose collective qui s’auto renforce, une boucle fermée.
Alors, je me suis documentée sur le sujet, j’ai trouvé peu de choses offertes au grand public. J’ai lu et entendu des cas de parents dont les enfants sont refusés à l’école car ayant une pathologie qui leur interdit le port du masque. Des parents qui ont peurs, mais pas tous les mêmes peurs. Des enseignants mal à l’aise. L’école qui choisit et préfère refuser un enfant, le laisser à la porte de ce lieu d’éducation, « irréceptive » à une situation médicale avérée, mais soumise en même temps à un risque énoncé, juste probable.
Est-ce recevable ? Et comment faire, avec ces règles à faire respecter, si on les trouvent infondées, anormales ou nocives à l’enfant même? Et comment faire vivre ensemble des visions différentes, des approches semblant opposées? Comment protéger les enfants? Et de quoi?
J’ai lu et vu aussi la détresse de certains parents, qui d’un coté ne veulent pas mettre en danger leur enfant déjà affaibli par une pathologie type asthme, enfant ne pouvant donc avoir les voies respiratoires couvertes. Ces parents qui d’un autre coté tiennent à la vie scolaire de leur enfant, leur sociabilité, leur place à l’école, leur école.
J’ai lu la détresse et souffrance de certains enseignants, l’inconfort professionnel à enseigner et interagir avec des plus jeunes avec ce nouvel attribut qu’est le masque. Le désarroi. La honte. La peine. Souvent, l’impuissance ou l’accent mis comme pour compenser sur des luttes habituelles, classiques, de statuts, salaires. Avoir le sentiment de pouvoir agir.
J’ai lu et vu les peurs, les pleurs des plus petits pour qui bien sur, porter un masque, ne peut être considéré comme une mesure sanitaire tant les conditions pour un jeune enfant ne sont tout simplement pas effectives, et donc se retrouvent inefficaces.
J’ai vu des parents qui n’envoient plus leurs enfants à l’école, préférant attendre. J’ai vu et lu la détresse, la volonté de bien faire, l’incompréhension. Je vois aussi l’habitude, un retour comme à la normale, l’école, les masques, puisque c’est la nouvelle norme.
Dans tous les cas, un malaise immense, une gène psychologique, morale, sociale, relationnelle, institutionnelle. Quand quelque chose ne fait pas sens à l’ensemble, qu’est-ce qui fait vraiment autorité ? A qui, à quoi, se référer ? L’hypnose collective, la loi de la masse? Facile, propre, rassurante, conforme, officielle, dominante.
Est-ce pour autant juste, fondé, nécessaire, utile ? Le prix à payer est-il raisonnable ? Et notre bon sens, est-il fiable, entendable ? Jusqu’où peut-on décider pour nos propres enfants ou laisser décider ou les laisser seuls ?
Tout cela m’a profondément bouleversé, et surtout questionné. La cause des enfants est un sujet majeur. Je suis mère de deux enfants, j’ai longtemps accompagné la naissance et la parentalité, j’ai accompagné et formé à la fin de vie de nombreux professionnels et équipes en Ehpad. J’observe là, assez curieusement, que nos anciens et nos plus petits sont les plus impactés au niveau du lien humain, du sens de la vie, de sa valeur, de ce qui fait sens, qui fait de nous des humains. A des moments clés de la vie.
Alors je me demande si c’est là le moment de vérité, la seule chose à défendre : la vie humaine ?
Et puis, je me suis mise à repenser à ces dernières décisions, disons purement politiques, sur l’interdiction à tout parent, à la rentrée prochaine, en septembre 2021, d’enseigner lui-même à son enfant, la vie, le monde, la connaissance. Et là, d’autres questions. Et une évidence : la liberté de décider du sens éducatif souhaité et donné à ses propres enfants devient interdit. Fin de la partie.
Car certes nos enfants ne sont la propriété de personnes mais n’est-ce pas les parents qui en ont et exercent pour autant l’autorité éducative directe?
Vos enfants ne sont pas vos enfants. Ils sont les fils et les filles de l’appel de la Vie à elle-même. Ils viennent à travers vous mais non de vous. Et bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas.
Disait Khalil Gibran.
Alors être parent n’est-ce pas aussi inter agir, être cette inter-face, et quelquefois celui qui dit oui, non, voir s’élève pour laisser vraiment grandir ses enfants, les enfants de la terre ?
Devons-nous écrire maintenant : « Les enfants sont les enfants des décideurs et du système politique, d’homme et de femmes politiques, qui pour beaucoup d’entre eux aujourd’hui, être parent n’existe pas? ».
Question spontanée. Quel peuvent être la valeur d’une décision et le sens profond porté par des gouvernants qui ne connaissent pas l’art, la joie et la puissance d’être ce parent, humain, animal, bienveillant et bien vivant ?
Alors je me suis demandée.
Et toi, si tes enfants étaient encore petits, que ferais-tu ? Vous savez le genre de question, qui sur la chaîne symbolique de nos actions, de nos valeurs, nos limites et de nos projections idéalisées, nous renvoie toujours à toutes les autres Grandes questions, de tous les temps, jusqu’au passé. Là où « que ferais-tu maintenant», se conjugue et fait échos aussi en « qu’aurais-tu fais, toi »….
- Que ferais-tu si on te prend ta maison, ta liberté d’enseigner, ton travail, ton aptitude à savoir, à décider ?
- Qu’aurais-tu fait si tu avais été arrêté de force ou pour un papier mal renseigné, une idée, un autre bout de papier pendant au nez ou plutôt absent ou un seul ou de la mauvaise couleur?
Et puis, utilisons l’étalon absolu présent dans l’inconscient collectif, qui fait référence dans le monde de la pensée agissante, bienveillante, notre garde-fou à tous : « qu’aurais-tu fais toi, en 39 45 ? » Et si tu sais, en es-tu vraiment sure ? Comment peux-tu savoir, vraiment, en être si sure ?
C’est vrai, comment savoir ? Quel est l’écart réel, vrai, mesurable, entre savoir et faire, vouloir et agir, oser et s’interdire ? L’écart entre avoir peur, être perdu, dérouté, démuni et manipulable ? Nous sommes des adultes avec l’innocence de l’enfant, ne pouvant croire à un si grand malheur, un si grand « pourquoi, pourquoi vraiment tout ça ? ». Nous revenons et restons à nos « pourquoi », alors que les enfants nous attendent.
J’ai alors eu une vision…j’ai même eu peur. A quand des amendes pour des masques qui n’auraient pas été changé toutes les 4 heures, pas conformes, ou pour les bébés à partir de 9 mois ? Après tout, pourquoi pas ? Où sont les limites ?
Et puis j’ai hésité à écrire ces lignes en me disant, mais quelle est ma légitimité ? Je ne suis pas pédopsychiatre, ni médecin, ni historienne. J’ai hésité car la période est clivée, et énoncée des faits, se questionner est devenu comme une aptitude ancienne que nous aurions perdu. Comme si penser pouvait être une menace pour les autres et une mise en danger pour soi. Comme si nous vivions une sorte de mutation, celle de la pensée médiatiquement modifiée.
J’ai hésité car j’ai mes propres peur, car dire expose, au jugement, moquerie, déni, rejet, et parce que je suis sensible à la qualité de ce qui me semble être des relations saines, libres, respectueuses. Peur de décevoir. Peur du jugement.
Le fameux regard des autres. Mais j’ai pensé aux regards des enfants sur nous, sur moi ?
J’ai encore un peine hésité car j’ai moi-même, derrière mes peurs, mes limites. Car je porte encore le masque, avec cette pensée qui est de « ne pas trop se faire remarquer », « respecter le cabinet du docteur ou du dentiste », « ne pas effrayer ou crisper les autres », « rester en lien », « faire mes courses » et d’autres encore, cherchant la bonne façon de vivre, faire, être, demeurer. Cherchant la solution aux maux actuels, dans cette guerre de l’information, ouverte, délibérée, bien réelle.
Et puis j’ai pensé à mon essentiel, mes valeurs, liberté, paix et vérité. Je veux encore garder ma liberté de penser, de savoir et celle de questionner. L’art de la maïeutique de Socrate, l’art de questionner qui permet lui-même de laisser naître la vérité. La sienne.
Je n’ai alors plus hésité même si c’est difficile de se positionner. Je sais aujourd’hui qu’il n’y a pas d’aller retour dans cette aventure-là. Alors décider d’y aller, ce n’est pas rien.
« Juste un Aller s’il vous plaît ». Pour où ? Je ne sais pas, mais sans doute pour un monde ….plus beau, plus libre. A un moment donné en tout cas. Le nouveau monde où l’esprit naissant qui a accouché de lui-même sera le maître commun, en une conscience collective éclairée, éclairante, inspirante.
Il arrive simplement un moment où dire ce qui questionne est plus fort et essentiel que le reste.
Alors, je me suis inclinée à la force de cette vie en moi qui me dit : dit le…
- que nos enfants méritent mieux que cela, que nos peurs, que la terreur, que la honte, que la violence.
- que les enfants devenus grands que nous sommes ont aussi leur mot à dire, leurs mots à penser, avant que d’autres maux ne s’emparent de tous, ou que la vie ne se fasse au détriment de la plupart pour le profit de quelque uns.
- que la valeur, la puissance et la beauté de la vie.
- que l’innocence et les forces vivantes, bien portantes, qui animent ceux qui croient, aiment, pensent, se questionnent, espèrent et ne veulent pas d’une vie masquée, ni pour les petits, ni pour les grands d’ailleurs.
J’ai alors essayé de répondre à la question. Si mes enfants étaient petits que ferais-je ? Qu’aurais-je fait si petits, par le passé, j’avais rencontré l’histoire présente ?
Comment est-ce que je penserai juste, de les protéger, de quoi, comment les aimer, les aider à grandir, sans étouffer le souffle de leur vie et de leur pourquoi ?
J’ai repensé à toutes leurs questions, d’enfants à aujourd’hui encore, devenus grands. « Dis maman, pourquoi…? »
Je les ai imaginé petits, partant à l’école, avec un masque, avec les infos anxiogènes environnantes, les énergies lourdes, en face d’adultes perturbés eux-mêmes ou impassibles et j’ai imaginé leur question du moment : « Dis maman, pourquoi je dois porter le masque ?».
Et là, un silence. A cette évocation, j’ai frissonné de la justesse de leur question, je n’ai su que répondre, comment expliqué ça et j’ai pleuré. Comme pour dire, je suis désolée, pardonnez-moi, pardonnez-nous. Pourtant, je vous aime.
Je me suis vue alors enlever leur masque, le cartable, les garder à la maison, nous mettre à un bureau. Car il était l’heure d’apprendre, d’étudier, de revenir à l’essentiel, pour une vie durable et honorable. C’était l’heure de l’école. Avec le sourire, nous avons simplement travaillé.
En fait, je n’ai pas répondu. J’ai fait. Il y a eu réponse, naturelle. Celle des lois de la vie, les lois universelles. J’ai fait, j’ai aimé. J’aime. Pour mes enfants devenus grands. Et cette réponse là me suffit.
Il importe de trouver sa façon et de pouvoir la respecter, tout en reconnaissant à chacun la possibilité d’avoir un autre regard, le sien.
Car nos actions n’ont toujours qu’un seul temps, celui du présent. Là où grandissent les enfants, nos enfants.